Le luxe alimentaire : une singularité française, co-édité en janvier 2013 par les Presses Universitaires de Rennes et les Presses Universitaires François Rabelais, a reçu de multiples récompenses : le prix de thèse 2013 de l’Association pour la Recherche en Economie Agro-alimentaire (AREA), le prix Georges Hachette 2013 de la Société de Géographie et le prix Apicius 2013 (culture et littérature gastronomique). L’auteur, Vincent Marcilhac, enseigne la géographie de l’alimentation au Pôle Universitaire de Gastronomie de l’Université de Cergy-Pontoise. L’ouvrage est préfacé par Jean-Robert Pitte, Membre de l’Institut.
Le caractère pionnier de cet ouvrage universitaire tient tout d’abord au champ dans lequel il s’inscrit, puisqu’il s’agit de l’une des premières thèses issues du courant de la géographie de l’alimentation. Il s’agit également de l’un des premiers travaux universitaires portant sur l’approche géographique du luxe, abordé sous l’angle économique, social et culturel.
Le questionnement part d’une hypothèse, souvent présentée et admise comme une évidence : la prééminence française en matière de luxe alimentaire. Derrière l’apparente évidence, Il importe de démontrer et d’expliquer l’hypothèse d’une singularité française en matière de luxe alimentaire. Cette thèse est bâtie à partir d’un questionnement en trois étapes :
1) Comment la France a-t-elle acquise une place prépondérante dans le secteur du luxe alimentaire?
2) Quelles sont les remises en cause auxquelles le luxe alimentaire est confronté de nos jours ?
3) Dans quelle mesure la valorisation patrimoniale et touristique des lieux de production est-elle une réponse aux défis du luxe alimentaire français et un moyen de réaffirmer sa singularité ?
. La première partie compte trois chapitres. Le premier reprend l’évolution de la notion de luxe au cours de l’histoire occidentale et montre comment le luxe, dans son acception française, est associé aux notions telles que la rareté, la somptuosité ou le raffinement. Je montre que la reconnaissance d’un luxe alimentaire français relève autant d’un processus de construction nationale, à travers des facteurs culturels tels que la pratique religieuse ou l’affirmation de la puissance monarchique, que par la valorisation étrangère de cette singularité. Dans ce chapitre, l’auteur s’appuie notamment sur le Comité Colbert pour établir le panorama du luxe alimentaire français. Une partie de ces maisons sont des maisons de production, d’autres des lieux de distribution sélectifs et enfin une troisième catégorie relève de la restauration. Les deux autres chapitres portent l’un sur les produits et les marques du luxe alimentaire, l’autre sur les lieux de distribution et de consommation de ces produits (épiceries fines, grands restaurants, etc.). L’auteur analyse ainsi dans le deuxième chapitre les marchés de niche, à partir des cas de la truffe et du caviar, en montrant le rôle de l’opacité et des réseaux cognitifs (bouche-à-oreille) dans le fonctionnement de ces marchés. Le troisième chapitre, par le biais de l’histoire des enseignes de distribution telles qu’Hédiard ou Fauchon, permet de saisir ce qui associe ces enseignes au luxe alimentaire français.
. Dans la deuxième partie, qui comporte aussi trois chapitres, l’auteur fait état des mutations du luxe alimentaire français et de sa « désingularisation » (traduit en anglais par displacement, un concept majeur de la new geography of food). Le néologisme traduit bien cette idée que le luxe alimentaire soit « se démocratise », soit « n’existe plus ». Je donne les éléments de ce débat par l’analyse de la diversification des produits du luxe, par la recherche de nouveaux débouchés qui conduit les chefs cuisiniers ou les enseignes du luxe à s’associer avec des réseaux de distribution moins élitistes que ceux de leur première clientèle. Dans cette deuxième partie, je montre la densification du réseau du luxe alimentaire français, les causes et les conséquences de ce processus en termes de catégorisation du luxe. En effet, cette diversification qui va de pair avec la « désingularisation » et l’extension des réseaux de distribution, qu’il s’agisse de la grande distribution ou de nouveaux lieux comme les halls de gares, semble faire vaciller le luxe alimentaire français : y-aurait-il encore un luxe alimentaire français ? Y-a-t-il deux catégories de luxe alimentaire français ? La diversification du luxe alimentaire, combinée à une multiplication des points de vente conduit à une confusion entre commerce et produits de luxe et commerce et produits hauts de gamme. Cette deuxième partie ouvre la discussion sur la banalisation de certains produits classés encore dans la gamme des produits de luxe, tels que le saumon fumé ou le champagne et nous amène à nous poser la question de la « marque » du luxe contemporain par l’association des trois éléments : produit, marque et lieu.
. La troisième partie, comptant deux chapitres, apporte des éléments de réponses puisqu’elle traite des politiques menées en vue de la « resingularisation » du luxe alimentaire français. Dans le premier chapitre, l’auteur traite de la patrimonialisation des lieux de production du luxe alimentaire français, en montrant notamment l’importance pour les élus et les producteurs à vouloir faire reconnaître leur singularité par une politique de reconnaissance d’un patrimoine, notamment viticole, via l’UNESCO. Dans le second chapitre, je fais le lien entre le luxe alimentaire français, le patrimoine et le tourisme en montrant l’intérêt des régions, des territoires de production et des producteurs eux-mêmes à valoriser leur « marque » de commercialisation touristique.
Cet ouvrage, issu de la thèse de l’auteur, appelle des prolongements, que ce soit en géographie de l’alimentation (avec des travaux portant sur d’autres cultures du luxe alimentaire, enrichissant ainsi l’analyse géoculturelle) et dans le développement d’une géographie du luxe (secteur important de l’économie française, et qui mérite que les géographes s’y intéressent davantage). Cette thèse appelle ainsi des applications à la réflexion stratégique des maisons de luxe.